Le 30 mars se tenait à la Bourse du Travail de Lyon, un meeting unitaire (FSU, CGT, FO, Solidaires, UNEF, Syndicat des Avocats de France, Syndicat de la Magistrature). Nous reproduisons ci-dessous l’intervention de Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU

Si ce texte était adopté, il impacterait fortement le droit du travail et les garanties des salariés et donc par ricochet serait préjudiciable aussi à la jeunesse.

Il aurait aussi, à plus ou moins long terme, des effets sur la Fonction publique.

L’urgence n’est pas aujourd’hui à détricoter le Code du travail mais à travailler sur le développement de l’emploi, à lutter contre le chômage et pour cela il faut aller plus loin sur le développement et l’amélioration des formations, les garanties données aux salariés, aux chômeurs et aux jeunes.

La FSU ne peut pas examiner ce projet de loi sans regarder comment le gouvernement vise à l’articulation, ou non avec les autres politiques, mises ou non en œuvre, comme celles de la refondation de l’École, du plan formation des 500 000 demandeurs d’emploi, ou encore de la dite priorité à la jeunesse…

Pour nous, la philosophie de ce projet de loi ouvre la porte à une fragilisation de la formation et à la remise en cause des diplômes alors qu’il serait à l’inverse, et d’autant plus dans une situation économique et sociale qui reste tellement dégradée (6 millions de chômeurs, 7 millions de familles survivent avec les minima sociaux, le taux de pauvreté s’élève à 23% chez les jeunes et 10 % chez les retraités, près de 5 millions de personnes sont victimes du « mal-logement »), indispensable de conforter la formation qu’elle soit initiale, continue ou professionnelle.

Je ne reviendrais pas, d’autres le feront après moi, sur les principes qui fondent les garanties collectives et qui sont remis en cause dans ce projet de loi : inversion de la hiérarchie des normes, et donc mise en cause de l’égalité de droit et de traitement, temps de travail, conditions de travail et de licenciements…

J’insisterais sur des volets de ce projet de loi qui souvent moins connus, moins sous le feu des projecteurs, en sont pour autant graves et inquiétants.

Il s’agit de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de la VAE.

Ce texte prévoit des mesures organisant la formation professionnelle par contrats de professionnalisation ou blocs de compétences. Il y a là, pour nous, une approche par « crédits » de formation et qui ouvrirait la voie à une sous-qualification de nombre de jeunes dans la mesure ou leur qualification ne serait valable qu’à un instant T et à un poste ou une tâche déterminée ou une entreprise déterminée. A un moment où l’on parle de mobilité professionnelle, où nous savons que pour construire de la formation professionnelle il faut une solide formation de base et continue, cette disposition nous paraît un non-sens.

Il va sans dire que ces dispositifs impacteraient l’organisation voire les contenus mêmes de la formation professionnelle initiale. Et cela aboutirait très certainement à la mise en place d’une formation professionnelle a minima pour de nombreux jeunes sans qualification.

Ce projet de loi s’inscrit aussi dans le développement à tout va de l’apprentissage. Pourquoi se refuse-t-on de dire la vérité aux jeunes sur l’apprentissage : l’apprentissage n’est pas la solution ni pour les jeunes en difficulté dans le système scolaire ni pour faciliter leur insertion sur le marché du travail. Toutes les études le prouvent, l’apprentissage ne fonctionne pas pour les jeunes les moins qualifiés.

C’est pour cela que si la FSU a acté positivement la récente création de 1000 postes dans l’enseignement professionnel pour 500 nouvelles formations, c’est à condition que ces postes soient bien consacrés à l’enseignement professionnel public sous statut scolaire et non ciblés pour développer des filières d’apprentissage au sein de nos lycées. La FSU ne cessera pas de dénoncer la concurrence faite à la formation initiale des jeunes par le développement de l’apprentissage et nous demandons l’arrêt du détournement de la taxe d’apprentissage à la seule faveur de l’apprentissage et au détriment des moyens de fonctionnement de nos lycées professionnels publics.

L’urgence est aujourd’hui de revaloriser l’enseignement professionnel public sous statut scolaire, c’est à dire de donner les moyens à tous les élèves de réussir leur cursus scolaire et leur permettre une insertion professionnelle et des poursuites d’études réussies. Cela passe par la nécessité de réintroduire des parcours en 4 ans pour redonner du temps aux savoirs généraux et professionnels, par une remise à plat des modalités de certifications des diplômes de la voie professionnelle, par des dédoublements de classe et par une augmentation de l’offre de formation et des capacités d’accueil sur l’ensemble du territoire. Comment ces discussions que nous menons actuellement au sein de l’Éducation nationale ne pourraient pas être vues en totale contradiction avec ce projet de loi Travail qui se met sur les rails du développement à tout prix de l’apprentissage et de l’élargissement de l’éligibilité de certains établissements privés à la part « hors quota » ? Car il s’agit bien là encore de diminuer la taxe d’apprentissage versée aux lycées et collèges alors qu’ils ont déjà perdu en moyenne 30 % de leur montant.

Quant à la diminution de la durée d’expérience requise pour obtenir une reconnaissance d’expérience professionnelle, il va de soi que cela va détourner la VAE de son objectif initial et impacter la formation professionnelle initiale. Un an d’équivalence apparaît peu. L’illusion que le diplôme pourrait être acquis au terme d’une année d’expérience peut même détourner certain-es d’un projet de formation qualifiante.

La VAE par blocs de compétences interroge d’autant plus que la notion de blocs de compétences n’est pas à ce jour stabilisée. Ce projet de loi conclurait ainsi des débats lourds sur la formation, débats qui à ce jour n’en sont qu’à leur début avec tous les partenaires concernés….

Il est clair pour la FSU, que les dispositions prévues dans le texte de loi sont en contradiction avec notre ambition éducative pour tous les jeunes, avec les principes mêmes d’élévation du niveau de qualification et d’obtention par tous les jeunes a minima d’un niveau V de qualification inscrit dans la loi de Refondation de l’École.

Alors oui il ne faut pas que ce texte s’applique mais oui aussi pour exiger des transformations profondes de la situation actuelle qui n’est pas bonne pour les salariés, les jeunes et les chômeurs.

C’est pour cela que nous avons des propositions :

- améliorer la qualité des formations proposées, construire des protections spécifiques pour les jeunes en formation, lutter contre les discriminations et les inégalités auxquelles ils sont confrontées dans les formations et à l’embauche, travailler à un statut protecteur pour les apprentis (garantir leur formation, leur rémunération et leur protection sociale),

- la FSU rappelle qu’elle demande la prise en compte des années d’étude et d’apprentissage dans le calcul des retraites,

- améliorer un dispositif de VAE qui permette la reconnaissance de compétences et de savoirs pour en faire un élément de « promotion sociale » malheureusement oublié depuis des décennies.

Dans ce contexte où l’emploi reste la préoccupation majeure, où le monde du travail change sous l’effet des évolutions de la société, il est urgent de créer et développer des emplois stables et de qualité. Car, dans une société en crise, conforter la démocratie implique aussi de lutter contre la flexibilité et contre la précarisation des emplois, à travers le renforcement et le développement de droits sociaux nouveaux notamment.

Une vraie politique sociale consisterait à s’attaquer non pas au coût du travail mais par exemple au coût du capital.

Ce projet de loi visant à réformer le droit du travail ne va donc pas dans le sens de l’histoire. Et si le gouvernement a concédé quelques bougés, ils ne modifient pas la philosophie du texte.

A l’inverse de cela, il est urgent de prendre des mesures qui confortent et améliorent les droits des salariés et des chômeurs, de construire des droits nouveaux pour faire face à la situation économique et sociale ; lutter contre le chômage notamment par une autre politique d’aides aux entreprises, ciblées et avec contreparties, travailler mieux sur des dispositifs permettant de développer l’emploi.

La formation initiale, continue et professionnelle en est une clé essentielle.

C’est pourquoi, demain nous serons des milliers de salariés, de chômeurs, de jeunes et de retraités à demander le retrait de ce texte et exiger du gouvernement qu’il entende nos propositions pour gagner des droits du travail dignes du XXIème siècle.