Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU vient de publier un livre :
« En finir avec les idées fausses sur les fonctionnaires et la fonction publique ». Elle nous explique ci-dessous les raisons de cette publication.
Fonctionnaire moi-même, responsable d’une fédération de syndicats fortement implantés dans la fonction publique d’état et la fonction publique territoriale, j’ai choisi de devenir fonctionnaire et de militer dans une organisation syndicale parce que je pense que la fonction publique est là pour répondre aux besoins de notre société, défendre l’intérêt général et porter haut les valeurs de la République, en particulier celles de solidarité et d’égalité.
Comme mes collègues j’en suis fière et j’en ai assez d’entendre dire, que ce soit dans les médias ou dans la bouche de responsables politiques que la fonction publique est archaïque, qu’elle ne sert plus à grand chose et, bien sûr, qu’elle coûte trop cher à un Etat présenté comme en quasi-faillite.
C’est bien précisément pour dé-construire ce discours dévalorisateur et combattre des idées fausses sur la fonction publique et ses agents que j’ai souhaité entrer dans le vif du sujet, sans esquiver les difficultés, en partant directement des interpellations récurrentes à propos des fonctionnaires. Toutes les données mentionnées dans le livre sont reprises de données publiques et de statistiques officielles.
Ainsi, on peut entendre à l’envi qu’il y a trop de fonctionnaires et qu’ils coûtent trop cher à la nation, qu’ils sont trop absentéistes, toujours en grève et qu’ils travaillent moins que les salariés du privé, qu’ils sont, et leurs syndicats avec eux, hostiles par nature à toute réforme.
Sur le nombre trop important de fonctionnaires et leur coût pour notre société, il faut rappeler que si le nombre d’agents publics a connu une progression de 26,2%, l’emploi total a connu une progression de 13,6% et la population a crû de 12,5%, Cette progression démographique appuyée sur un des taux de natalité les plus forts d’Europe, couplée à une espérance de vie qui s’allonge créent des besoins (accueil des jeunes enfants, éducation, accompagnement des personnes âgées..) qui impliquent une intervention publique pour garantir à tous un accès à des services essentiels. Par ailleurs, le taux d’emploi dans les administrations publiques en France est de 90 pour 1000 habitants, au même niveau que celui du Royaume-Uni, quand il est compris entre 140 et 160 pour 1000 dans les pays nordiques. Quant au coût de la fonction publique et des services publics, en 1978 neuf points de PIB étaient affectés aux rémunérations des agents publics (état et administrations locales) contre 9,8 points en 2000 et 9,3 en 2011, soit une augmentation de 0,3 point sur une période de trente-trois ans. À rebours de ce discours dominant, l’état et les collectivités territoriales ne sont-ils pas des acteurs incontournables de la vie économique et sociale, à travers le financement et la réalisation d’infrastructures majeures ? On parle de coût mais ne vaudrait-il pas mieux parler d’investissement et en reconnaître le rôle éminent dans le fonctionnement de notre économie, qu’il s’agisse de la formation des futurs citoyens et des futurs salariés à travers notre système éducatif et de formation professionnelle, de leur santé, des réseaux routiers ou des transports collectifs qu’ils empruntent, du logement aidé, de l’accueil de la petite enfance et des personnes âgées, des subventions aux entreprises…?
Concernant l’absentéisme des fonctionnaires, les salariés des entreprises privées ont été absents pour raison de santé 16,6 jours par an en moyenne en 2013. Dans la fonction publique, ces arrêts sont évalués à 13 jours par an pour la fonction publique de l’état, 16,3 jours par an dans la fonction publique hospitalière et 21,7 jours par an pour la fonction publique territoriale, où les femmes, plus fréquemment absentes, notamment parce que l’on décompte en maladie les journées liées à la maternité et à la garde des enfants malades, représentent 61 % des personnels.
D’autre part, l’idée selon laquelle les fonctionnaires seraient toujours en grève est un mythe à abattre. On compte chaque année moins de deux millions de jours perdus pour cause de grève dans la fonction publique de l’état, soit, en moyenne, moins d’une journée par agent et par an. En outre, dans la fonction publique de l’état, toute grève d’une durée inférieure à une journée est sanctionnée du retrait effectif d’au moins une journée de salaire, quand dans le secteur privé ou les autres versants de la fonction publique une heure de grève est pénalisée d’une heure de salaire retirée.
En matière de temps de travail, il est très fréquent d’entendre dire que les enseignants travaillent moins que les salariés du privé. Pourtant, et c’est le Ministère de l’éducation nationale qui le dit, le travail invisible des enseignants (préparation de la classe, des cours, corrections, documentation, suivi des élèves, participation à des jurys, visite de stage, réunions de travail, rencontre avec les parents…) porte leur temps de travail moyen à 44 heures par semaine pour les enseignants du premier degré et à 43 heures pour les professeurs certifiés exerçant dans le second degré. Pendant leurs congés, les enseignants travaillent en moyenne une vingtaine de jours, selon les mêmes enquêtes du ministère de l’éducation nationale.
Enfin, pour battre en brèche l’idée selon laquelle les fonctionnaires résistent à toute innovation et leurs syndicats refusent les réformes, croit-on que les services publics auraient pu faire face aux besoins issus de l’évolution de la société sans évoluer eux-mêmes ni innover ? Le service public d’éducation, par exemple, aurait-il pu multiplier par trois le pourcentage d’une classe d’âge accèdant au baccalauréat depuis 1970 sans faire évoluer profondément ses méthodes ? Quant aux syndicats, non seulement ils ne sont pas hostiles aux réformes mais ils en proposent, et demandent que les agents soient associés à leur conception et à leur mise en œuvre. Seulement, lorsque dans l’esprit des gouvernants le mot réforme n’est que le paravent d’une préoccupation dominante, à savoir réduire les coûts pour réduire en retour les impôts des plus fortunés, il est clair que le sens et le contenu du mot réforme ne sont pas les mêmes pour les syndicats qui les portent et la puissance publique qui les met en œuvre.
Il n’est pas facile de combattre des idées reçues, surtout lorsqu’elles sont sans cesse reprises et diffusées par les médias sans être interrogées ou par un personnel politique qui escompte, à force de dénigrer l’administration, pouvoir en réduire les effectifs avec l’assentiment des citoyens.
Pourtant, l’opinion publique, même si elle se laisse parfois gagner par ce que je nomme le « fonctionnaire-bashing », résiste à cette entreprise de sape car les citoyens savent à quel point les services publics et leurs agents, chaque jour garants de la défense de l’intérêt général, leur sont indispensables et contribuent, par l’accès de tous les usagers aux droits et à l’effectivité de ces droits, à maintenir une cohésion sociale bien émoussée par des politiques économiques et fiscales toujours plus inégalitaires.